• Papa Don't Preach - Les Affranchis: Introduction

    Une atmosphère idéale : le vent du large a repoussé le fog vers l'intérieur des terres, une brise légère lui a succédé, qui masse doucement le visage des convives et emporte dans son sillage les effluves douces et exotiques des plantes tropicales du jardin. Parmi les invités, l'inséparable couple de comédiens Amandina et Diego Gasquez, le producteur John Farley et sa toute jeune femme, une étoile montante répondant au doux surnom de Sugar, quelques mannequins, Dan Gardner du Los Angeles Night Life, la jeune chanteuse Titania Angel, de riches industriels, la célèbre neuro-chirurgienne Ema Thomas, quelques grandes personnalités politiques, l'ancien maire Karen Hall, la très puritaine Karen Ann Sutter, digne petite-fille de son grand-père, Antonio Hagan, leader du parti des Compagnons — ce qui est assez naturel, la soirée ayant un but caritatif — ainsi que Richard Castiglione, directeur général de Castle S.A et, selon certains bruits de couloirs, possible candidat pour les prochaines élections municipales.

    Et, bien entendu, Giovanna Castiglione, l'hôtesse de la soirée, dirigeante de CleanScape, une société d'urbanisme, et bonne âme, très présente sur le terrain des œuvres de charité, avec notamment un projet pour aider les sans-abri de Little Italy. Le gala de ce soir a pour finalité de récolter suffisamment d'argent pour faire des dons aux hôpitaux qui prennent en charge les déshérités, comme celui de Duarte. Elle profite de son rôle de maîtresse de maison pour accueillir comme il se doit tous ceux qui franchissent le pas de sa villa et entraîner certaines personnes influentes dans des discussions plus privées et plus politiques. Un peu a l'écart, très droits, très bien habillés, son mari et son fils s'entretiennent avec une vieille dame toute de noir vêtue. Je mets un peu de temps à la reconnaître : c'est Jodie Foster. Je me demande ce qui lui vaut l'honneur de cette invitation : simple courtoisie de voisinage, peut-être ?

    Là n'est cependant pas la question. Je traque une proie à la fois dangereuse et totalement inconsciente de ma présence. Paradoxal ? Non. Tout simplement logique lorsqu'on connaît la dame. Lieutenant Catherine Byrnes, de la FCD. Byrnes, la quarantaine élégante et légèrement hautaine de la femme active et sûre d'elle, trop sûre d'elle pour ne serait-ce qu'imaginer qu'un plouc de mon acabit la surveille. Oh, bien sûr, tout est d'une extrême discrétion : versements circonspects sur différents comptes, rendez-vous d'affaires avec des financiers — quoi de plus logique lorsque l'on est investisseur et que l'on veut éviter de se mettre hors-la-loi —, et dîner en compagnie de personnes on ne peut plus recommandables, puisque fréquentant certains des casinos les plus huppés de Broadway. Le danger vient de l'extérieur, des types dont elle reçoit ces pot-de-vins.
    - Douglas ?

    La sublime créature qui vient de m'accoster dans un murmure sensuel n'est autre que Fanny Howard, alias Pam lorsqu'elle est blonde aux yeux bleus et Amanda Parker lorsque, comme aujourd'hui, elle est rousse aux yeux verts et appartient à la haute bourgeoisie de la cité des Anges. Nous jacassons de choses et d'autres durant quelques allures, afin de donner le change et nous nous dirigeons un peu à l'écart, une coupe de champagne à la main, afin d'avoir une vraie discussion.

    - Quelque chose d'intéressant ?
    - Sur Byrnes, rien pour le moment. En revanche, continue-t'elle, une moue sardonique au coin des lèvres, j'en ai une bien bonne sur notre militante puritaine préférée.
    -Tu peux parier ?
    - Raccompagne-moi d'ici.. une heure environ et je te raconterai tout.

    Les gens commençant à refluer vers l'intérieur de la villa, nous leur emboîtons le pas nonchalamment, après un « ravi de vous avoir rencontré » de circonstance. Au milieu du salon, un petit cercle s'est fond autour de Giovanna Castiglione — aux premières loges, bien évidemment, Gardner et quelques autres journalistes avides de scoops. Elle attend quelques instants — juste assez pour qu'un silence religieux se fasse dans la pièce — et commence son petit discours :
    - Mes chers amis, vous le savez, c'est toujours un honneur de vous recevoir id, cependant... Cependant le plaisir de votre compagnie n'était pas le but, en tous cas, pas le seul but — quelques rires attendus fusent— de cette soirée. Vous n'ignorez pas que depuis toujours, CleanScape, l'entreprise que je dirige, possède une double finalité. D'abord, bien entendu, faire en sorte de rendre notre belle cité toujours plus angélique — encore des rires—mais aussi, trouver une issue aux conditions toujours plus précaires dans lesquelles vivent la plupart de nos concitoyens. Le projet que nous avons mis en œuvre, avec le concours de plusieurs hôpitaux et de quelques entreprises pharmaceutiques a pour dessein de faciliter l'existence des couches les plus défavorisées de la population... Tout en renforçant la sécurité des rues. J'espère donc de tout cœur qu'il reviendra à la société que je dirige de réaménager et moderniser Little Italy
    - Pourriez-vous, madame, nous préciser de quoi il s'agit ? s'enquiert Dan Gardner d'un ton un peu trop empressé.
    - Bien entendu, répond courtoisement notre hôtesse. Mes partenaires et moi l'avons baptisé «kiosque social ». Il s'agira de bornes interactives disposées à des endroits stratégiques du quartier, qui permettront aux nécessiteux, sur un simple appel, d'être nourris et soignés, voire même dirigés ou emmenés si besoin est, vers un centre d'accueil ou un hôpital si leur état le nécessite.
    -Pensez-vous que cet... essai, s'il est transfomé, pourra être considéré comme un exemple pour les autres quartiers de LA? Réclamerez-vous des...
    - Je ne réclamerai rien du tout coupa t'elle. Si mes partenaires et moi-même avons dédié de consacrer une partie de notre temps et de nos ressources à secourir ceux qui sont dans le besoin, ce n'est certainement pas pour faire du profit sur leur dos. Bien sûr, nous ne pourrons empêcher une certaine médiatisation de ces kiosques, mais il me semble que dans ce cas, cela ne pourrait que contribuer à la mise en œuvre d'autres projets similaires et...

    Un regard à ma partenaire. Elle s'ennuie autant que moi. Non que les intentions de la dame soient mauvaises, loin de là, mais nous autres cops savons trop par avance comment ce type d'action se termine et qui finit par écoper du sale boulot consistant à ramasser les débris qui se sont fait étriper par leurs copains en croyant qu'un simple coup de fil suffirait à les mettre à l'abri, récupérer les cadavres de pauvres clochards morts de faim, de fatigue et de froid parce qu'ils auront passé la nuit à attendre que quelqu'un passe les chercher, etc. Utopie, quand tu nous tiens... Catherine Byrnes, elle, écoute ce petit discours avec attention, même si, de temps à autre, elle jette un coup d'œil éloquent au grand type vêtu d'un costume gris sur mesure qui l'a accompagnée à cette soirée. Je ne sais pas qui c'est, mais il est d'ores et déjà enregistré et photographié par les bons soins de « Parker ».

    La prestation de Giovanna s'achève dans une salve d'applaudissements. Quelques invités se pressent pour la féliciter, un journaliste essaie d'obtenir une interview privée, il est gentiment mais fermement repoussé par les deux colosses qui font office de gardes du corps et n'ont pas quitté leur patronne d'une semelle.
    -Je me sens lasse... Auriez-vous l'obligeance de me raccompagner, monsieur ?
    Il était temps. je n'en peux plus d'être ici. Et puis — c'est de la mauvaise foi mal placée, je sais — les dernières créations des parfums Armani, Gianfranco et Patchouly commencent à me donner des haut-le-cœur.

    Nous saluons quelques convives, remercions, à défaut de la maîtresse de maison, son fils et son mari, puis nous nous dirigeons, escortés par un majordome, jusqu'à nos voitures respectives. Enfin...


    Vingt minutes plus tard, nous nous retrouvons au Police Tribute. Il n'y a plus grand monde, à cette heure-ci, mais Micky nous accueille, comme toujours, avec le sourire. Fanny est redevenue Fanny... Jean, T-shirt, rangers et blouson des cops. Comment fait-elle pour se changer si vite, je ne le com-prendrai jamais...
    - Qu'est-ce que je vous sers, mes amis ?
    - Un whisky pour moi et...
    - Un martini dry, répond-elle.
    Pour tous les deux, le service est terminé. J'attends que le propriétaire des lieux nous apporte nos commandes, assorties de quelques petits amuse-gueule dont il a le secret, puis je pose la question qui me brûle tes lèvres depuis tout à l'heure. Ce n'est pas que de la curiosité professionnelle, à dire vrai. Je suis un démocrate visionnaire depuis que j'ai l'âge de voter et le clan Sutter me donne envie de vomir. Alors, tout ce qui peut leur nuire de près ou de loin, même si c'est mesquin de ma part, je prends.
    - Alors?
    - Alors... Elle affiche un soutire carnassier et quelque peu malicieux. Alors Miss Karen Ann Sutter, notre sainte-nitouche préférée, a avorté.

    Je m'étrangle à moitié sous l'effet de cette bombe. Parce qu'il faut le savoir : Ann Sutter est contre l'avortement, contre les mariages homosexuels, contre la légalisation de l'adoption d'enfants par lesdits couples mariés, pour une peine de mort plus agressive et, en bref, un retour à une politique saine et droite — c'est-à-dire puritaine façon Midwest.
    -Ray Morra— L'un des gars pour lesquels « Pam » travaille
    -Eh ben ?
    - Disons qu'il est politiquement assez impliqué pour ne pas souhaiter que la dynastie Sutter ait de quoi mettre la pression sur ses petits camarades.
    - Parfois, Fan, tu me donnes des envies de meurtre.
    - Homicide volontaire, inculpé avant même d'avoir eu des informations ? Mauvaise idée, M. Adams, mauvaise idée...
    - Alors ?
    - Alors, il y a quelques temps de cela, Gino Gespucci, l'un des vigiles du casino, a un peu trop bu et a fait un pari complètement stupide qu'il arriverait à mettre dans son lit la personne la plus improbable de LA... à la discrétion de ses petits camarades.
    - Qui lui ont désigné Karen.
    - Exact. Il a donc été engagé comme garde du corps —je te la fais courte, grand jeu, regards de braise, etc. Gino est vraiment très séduisant quand il s'en donne la peine, et évidemment, la petite Sutter a craqué. Après quelques attouchements sages, dîner dans un restaurant discret de Little Italy, la gamine abuse sur le champagne... et hop !
    -Tu veux dire ?...
    -Je ne vais pas te faire un dessin ! Seulement, ce qu'elle ne savait pas, c'est que des photos ont été prises...

    - Jusqu'ici, rien de bien méchant un peu de chantage, un peu d'argent elle récupère les documents compromettants et le tour est joué.
    - Oui, sauf... Sauf que la demoiselle ne savait pas que Frank Rambaldi avait eu un poste au Las Angeles Night Life grâce aux bons soins de Morra. Morra a mis son paparazzi préféré sur l'affaire et comme tout bon charognard, celui-ci a décroché le gros lot. Il a suivi Karen durant plusieurs mois et un jour, notre pimbêche nationale est sortie de chez elle avec des lunettes noires, une perruque et tutti quanti pour se rendre dans une pente clinique du complexe hospitalier de Glendale. Elle est demeurée deux jours là-bas. Frank a fait des pieds et des mains pour obtenir son dossier et même un poste d'aide soignant ! «Jane Doe » a fait pratiquer sur sa personne ce que l'on appelle une interruption volontaire de grossesse. Elle était enceinte de quatre mois.
    - Oh oh... Ce n'est pas très chrétien, ça... Morra l'a fait chanter ?
    - Pas exactement. Ray est quelqu'un de courtois et subtil
    - Frank, un peu moins mais il est difficile de lui en vouloir, il paraît que sa vie n'a pas toujours été facile. Bref, depuis quelque temps, Karen Ann Sutter songe très sérieusement à se retirer de la vie politique. Elle se rend compte, aujourd'hui, qu'il existe de multiples façons de lutter contre le mal. Comme aider les déshérités, participer à des actions caritatives, soutenir des candidats « humanistes » par des dons spontanés...

    Ma tête bourdonne. Tout se mélange et, en même temps, tout semble terriblement clair
    - Karen Ann Sutter était chez Giovanna Giobettite Castiglione. Le père de celle-ci, futur maire potentiel, était présent, Ray Morra est, d'après ce que m'a expliqué Penny, un parent de Richard Castiglione... Tout cela ne sent pas très bon, décidément mais je déteste le clan Sutter.
    Et puis, notre mission, n'est-ce pas avant tout de coincer le lieutenant Catherine Byrnes ?


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